Pardonner : De la Parole à la Profonde Transformation Intérieure

Il est courant d'entendre des injonctions comme « pardonne-lui », « il suffit de pardonner », ou la simple affirmation « je te pardonne ». Pourtant, si le pardon était une démarche aussi simple, pourquoi tant de personnes persistent-elles à éprouver de vives émotions négatives envers une personne ou une situation ? Pourquoi ne suffirait-il pas de prononcer ces mots ? Et si le pardon ne se réduisait pas à une simple déclaration ?

L'étymologie du mot pardonner nous éclaire : il dérive du latin perdonare, composé de per, signifiant l'achèvement ou la perfection, et de donare, qui signifie donner ou faire remise. Cela suggère que le pardon est intrinsèquement un acte de don, un don de soi profond.

L'expression populaire « par/donner » invite à réfléchir : quelle est la « part » que nous offrons en pardonnant ? Est-ce une part de nous-mêmes à l'autre, ou plutôt une part que nous nous accordons à nous-mêmes pour notre propre libération ?

Si le pardon se limitait à une simple expression verbale, comment expliquer que nous puissions prononcer un « pardon » sans en ressentir la pleine portée intérieure ? Persister à nourrir de l'animosité envers une personne ou une situation, malgré un pardon verbal, revient à laisser une emprise à l'autre, ou plus précisément, à laisser nos propres blessures dicter notre équilibre intérieur.

Avant d'explorer la genèse du pardon, il est essentiel d'examiner les sentiments qui motivent cette quête.

De nombreux penseurs et psychologues ont abordé la notion de pardon. Cette réflexion ne prétend pas être révolutionnaire, mais elle aspire à inviter chacun à une introspection sur l'indispensable congruence entre l'acte de dire « je pardonne » et le sentiment profond d'être « en paix », condition sine qua non d'un pardon véritable.

La question « comment fait-on pour pardonner ? » m'a été posée. Après un temps de réflexion, j'ai spontanément associé le pardon au processus de deuil, avec ses étapes distinctes. Car au-delà des mots, le pardon me semble émaner d'un sentiment profond. Il est en effet complexe de pardonner, parfois même l'impardonnable.

Il est crucial de souligner que le pardon représente l'aboutissement d'un véritable cheminement intérieur.

Le besoin de pardonner peut surgir de diverses situations douloureuses : une trahison, un mensonge, un conflit, la violence (verbale, physique, psychologique), des attentes déçues, un héritage transgénérationnel, des événements traumatisants, ou même un sentiment de culpabilité envers soi-même. De ces circonstances naissent souvent la colère, la tristesse, l'impuissance et la peur. Le premier pas vers le pardon pourrait bien être de verbaliser ces « maux » et les émotions qu'ils engendrent.

Bien que Freud n'ait pas directement abordé le pardon, sa méthode cathartique offre une piste précieuse. Cette psychothérapie vise une « purgation », une libération des affects pathogènes, en permettant au sujet de revivre et d'exprimer des événements traumatiques. Ainsi, le geste initial pour atteindre le pardon réside dans la reconnaissance verbale de nos émotions face à une situation, un acte ou une attitude.

Ce processus permet de lever des mécanismes de défense tels que la projection, le déni ou le clivage, qui protègent notre Moi. En reconnaissant la souffrance engendrée par une situation donnée, nous nous confrontons à la réalité de nos affects. Cette réalité est intrinsèquement liée à notre perception des événements et des actions d'autrui, elle-même façonnée par notre enfance et nos éléments refoulés.

Dès lors, il devient évident que le pardon émane de soi, d'une reconnaissance d'une blessure réactivée. Il ne s'agit pas d'une simple déclaration ou d'un geste extérieur, mais d'un processus intérieur complexe. C'est l'intégration dans le conscient d'affects, de pensées et de pulsions refoulées, d'où peut également surgir un sentiment de culpabilité. Il est donc manifeste que la seule volonté consciente ne suffit pas au pardon ; il découle aussi d'un processus inconscient. C'est par la reconnaissance verbale des « maux » que débute un véritable travail de réparation intérieure.

Le processus du pardon s'apparente ainsi à une réparation. Cette notion évoque les relations d'objet, particulièrement les travaux de Mélanie Klein. En effet, le pardon se joue toujours dans une dynamique, que ce soit entre soi et l'autre, ou bien en soi-même. La quête du pardon est-elle également une exploration de la manière dont nous intégrons l'autre dans notre propre construction, acceptant qu'il ne puisse pas toujours combler nos besoins ou nos désirs ? C'est une reconnaissance des limites de l'autre, de nos propres limites, et par extension, des failles humaines inhérentes à notre condition.

Le pardon ne minimise en aucun cas la souffrance de la personne blessée, ni ne légitime les actes d'autrui. Il offre plutôt une libération d'une perception idéalisée de l'autre et de soi-même, nous ramenant à notre condition humaine d'êtres vulnérables.

Mélanie Klein a mis en évidence le rôle central de la réparation dans le travail de deuil et le processus de sublimation. Ceci renforce l'idée que le pardon est un cheminement comparable au deuil, où l'on répare une part de soi-même pour permettre l'émergence d'une nouvelle facette de son être. C'est ainsi que, d'une simple déclaration verbale, le pardon se mue en un acte intérieur de transformation profonde.