Introduction

Ayant parlé de cette cécité d'inattention dans divers précédents articles je me suis dit qu'en faire un article dédié serait une bonne idée !

Le Revers de la Médaille

Commençons par la mauvaise facette de ce biais cognitif, la cécité d'inattention est un mécanisme qui nous permet de faire plein de choses exceptionnelles mais elle nous fait aussi omettre des détails qui pourraient être clé dans certaines situations notamment lors de la formation de stéréotypes ou préjugés. Pour tester ce biais diverses expériences ont été menées en voici quelques-unes parmis les plus célébres :

1. L'expérience du gorille invisible (Simons & Chabris, 1999)

Des participants regardent une vidéo où deux équipes (maillots blancs et noirs) se passent un ballon. On leur demande de compter les passes. Pendant la scène, une personne déguisée en gorille traverse le champ et frappe sa poitrine. Environ 50% des participants ne remarquent pas le gorille. Cette expérience illustre la cécité d'inattention, où l'attention focalisée sur une tâche empêche de voir un événement inattendu mais visible.

2. L'expérience de la porte (Simons & Levin, 1998)

Un expérimentateur demande son chemin à un passant. Pendant la conversation, deux personnes portant une porte passent entre eux, et l’expérimentateur est substitué discrètement par une autre personne. La moitié des passants ne remarque pas le changement. Cela démontre la cécité au changement, liée à l'inattention.

3. Le test du changement de couleur de chemise (Daniel Levin)

Dans une vidéo, un homme entre dans une pièce et parle avec une femme. La caméra change d'angle brièvement, et la couleur de sa chemise change, ainsi que certains objets dans la pièce. La plupart des spectateurs ne le remarquent pas. Cela montre combien l’attention est limitée et contextuelle.

4. Le test du comptage des passes avec distraction animale

Une variante de l'expérience du gorille : des participants doivent compter les passes, mais cette fois, un ours polaire en costume traverse la scène en moonwalk. Encore une fois, une grande partie des sujets ne remarque pas l’élément étrange. Cela renforce l’idée que l’attention dirigée inhibe la perception périphérique.

5. Le test des avions invisibles (Becklen & Cervone, 1983)

Deux vidéos sont superposées : une de personnes jouant au basket et une autre de joueurs de handball. On demande aux participants de suivre une des équipes. Résultat : la majorité ignore complètement l’autre vidéo, y compris des événements majeurs (comme un joueur qui sort du champ). Cela démontre la limitation de l’attention divisée et l'effet de masquage perceptif.

L'Utilité

Ces petits désagrément démontrés plus haut par ces expériences sur les biais cognitifs sont un prix à payer pour une capacité incroyable de notre cerveau qui consiste à se focaliser sur quelque chose et à produire des opérations cognitives complexes. Essayez de parler à un informaticien pendant qu'il travaille, il ne vous écoutera même pas une seconde car focalisé sur son écran ou dans sa tâche.
Cette focalisation nous permet d'omettre momentanément toutes distractions extérieures et d'utiliser toutes nos ressources de manière efficace

En fait notre cerveau fonctionne sur un système de grilles qu'il peut consulter de manière presque automatique pour mieux s'adapter à un environnement rempli de stimulis extérieurs. Sans cette méthode pour traiter les informations perçues par les sens le cerveau ne pourrait tout simplement pas fonctionner et nous serions des légumes, et ça ne se limite pas qu'à la vue mais aussi à tous les sens.

Les Limites du Superpouvoir

Mais comme tout superpouvoir, cette capacité a ses failles. La cécité d'inattention n’est pas simplement un défaut de perception : c’est le résultat d’un choix inconscient de notre cerveau. Il choisit ce qui est important selon le contexte, notre objectif du moment et nos attentes. Ce filtrage est souvent bénéfique, mais peut devenir dangereux dans certaines situations :

Un automobiliste qui ne voit pas un piéton en raison de sa concentration sur son GPS.

Un médecin qui passe à côté d’un symptôme important car il se focalise sur un diagnostic préconçu.

Un témoin d’une agression qui "ne voit rien", car il ne s’attend pas à voir une violence dans ce contexte.

En résumé, notre cerveau voit ce qu’il s’attend à voir, et ignore ce qu’il ne s’attend pas à voir, même si c’est juste devant nos yeux.

Et dans la vraie vie ?

Ce biais ne se limite pas aux laboratoires ou aux expériences psychologiques. Dans la vie quotidienne, il influence nos décisions, nos relations, et même nos croyances. Il peut par exemple :

• Renforcer des préjugés : si l’on s’attend à voir un comportement négatif chez quelqu’un, on remarquera plus facilement les indices qui vont dans ce sens, en ignorant les autres.
• Entretenir des routines mentales : notre cerveau aime prendre des raccourcis, ce qui peut nuire à la créativité ou à la remise en question.
• Créer des angles morts sociaux ou émotionnels : on peut passer à côté de signaux émotionnels ou de situations importantes car notre attention est ailleurs.

Conclusion : Voir, c’est choisir

La cécité d’inattention nous rappelle que voir n’est pas un acte passif, mais un acte actif de sélection. Nous ne voyons pas tout, et ce que nous voyons est influencé par ce que nous cherchons, ce que nous croyons, ou ce que nous ressentons.

En prendre conscience, c’est s’armer contre certains biais, s’ouvrir à plus d’attention, de curiosité, et de nuance. Ce n’est pas une faiblesse humaine : c’est un outil puissant, qu’il faut apprendre à manier avec vigilance.